samedi 9 mars 2013

20 jours avant le deux ans

Il y a eu de l'inconstance, dans ce blogue. C'est que la dernière année a été de marde. Tellement de marde qu'aucune catharsis ne semblait pouvoir changer quoi que ce soit à la situation. Quand ta vie ressemble à un mélodrame qui ne pourrait même pas être crédible en soap américain, c'est que tu as atteint le stade épique du profond.

Et il avait une certaine gêne d'exposer la décrépitude alors que je m'imagine bien que je suis loin d'être la seule à l'avoir éprouvée ainsi. Évidemment que je ne suis pas la seule. Faque je me suis dit qu'à vingt jours du deux ans de Fifille, avant que le jambon ne soit complètement transformé en tranche de bacon [elle a la crise frétillante, du type je-me-garoche-sul-plancher-et-je-me-fais-aller-tout-le-corps], j'avais envie de la raconter cette année de marde. Par petits bouts, en flashback. La dépression est encore matière à stigmatisation, à incompréhension, à donne-toi-un-coup-de-pied-au-cul-ça-va-aller. Une vue de l'intérieur, ça peut peut-être aider à assouplir le préjugé. 

On repart en juin 2012. C'est loin, mais bon. Avant, il y avait eu mon séjour en psychiatrie, une sortie trop rapide, un retour au travail trop rapide, une surchage de travail au travail [une tâche à 110%], un printemps à marcher les rues de la ville, à être mobilisée, en colère, à essayer de faire du sens. Et toujours ce sentiment d'être à côté de moi-même, absente. Et la fatigue parce que la Fifille, elle ne faisait [et ne fait] toujours pas ses nuits.


Un an et presque trois mois


Point de rupture numéro ad nauseam:

Pourtant, une fin de journée comme toutes les autres. Juste un peu plus de cris, dans la voiture, de non-coopération, de résistance, de demandes infinies. La fin de cette session [un peu de marde] est éreintante, me rend, du coup, plus edgy que je ne le suis déjà, normalement. Le sommeil manque. Alors il suffit d’un détail, un tout petit détail, dans ces conditions [non] optimales pour imploser. Le détail, ce soir, a été le lancé de l’assiette. Celle du Fils. Dans ma direction. Pleine de son contenu dont il ne voulait – manifestement – pas. Nous travaillons très fort le « nommons tes émotions et associons-leur des comportements appropriés afin que tu te sentes en contrôle de toi-même et apte à te gérer tu seul». C’est un work in a very slow motion progress.

J’ai vu vide.
Je me suis substituée au Mari, sur la galerie. Il a compris que l’heure était au « travail d’équipe », au « tu finiras clope et bière, plus tard, comprends que le s’il-vous-plaît est en implicite ». Il est rentré, je me suis adossée au mur de briques, mes yeux se sont fermés. J’ai mentalement fusillé tous les papillons de la planète. Du moins, ceux qui volent en faisant trop de bruit.

Je n’ai pas abusé, quelques minutes, le temps d’une dizaine de respirations profondes. Le temps de me croire habiter d’un certain [très instable] calme. Et là, alors que je posais la main sur la poignée de la porte, j’ai entendu hurler le Fils.
J’ai figé, submergée par le sentiment que je n’y arriverais pas, que je ne survivrais juste pas à la fin de la journée. C’était plus qu’un sentiment, en fait, c’était une certitude.

Devant mes yeux, la séquence temporelle à venir : rentrer, recouper des raviolis en une vingtaine de bouchées, faire avaler la vingtaine de bouchées, une à la fois, déposer le bol sur le comptoir, ouvrir l’armoire, prendre un biscuit, le donner au Fils, préparer un biberon de lait pour Fifille, sortir cette dernière de sa chaise-haute, l’amener à sa chambre, la déshabiller, changer sa couche, lui mettre son pyjama, fermer le rideau, la déposer dans sa couchette, l’envelopper de sa couverture, l’embrasser sur le front et le bout du nez, fermer la porte de sa chambre, retourner voir le Fils, négocier un moment pour qu’il me suive jusqu’à la salle de bain, couler son bain, le déshabiller, le laver, le regarder jouer, le sécher, lui mettre un pyjama, me coucher sous la couverture avec lui, lire trois histoires, réciter l’alphabet, l’embrasser, sortir de sa chambre, aller dans la mienne, faire une boule de moi-même sur le lit. Je le sais, rendu là, j’aurai le goût de prier.  

Une telle envie de fuir. De lâcher la poignée, prendre les escaliers de secours, même si déjà en pyjama, courir et ne jamais m’arrêter. M’évanouir, dans un coin, un tout petit coin. Ne plus me réveiller. Il y a plus joyeux, comme souhait. Je sais.

J’ai retenu mes larmes. Et j’y suis retournée. Le Mari ne m’a pas surnommée « Castro » pour rien, pendant le printemps. La maternité est un état révolutionnaire permanent. La lutte n’est même pas un choix, c’est une obligation.

2 commentaires:

  1. Cette envie de courir... Ça m'a pris longtemps à m'autoriser à avoir ce genre de pensées sans automatiquement me dire que j'étais une mère horrible. Parce que la pensée, ce n'est pas une action, alors le simple fait de m'imaginer m'enfuir ne fait pas de moi une mère horrible. Maintenant, quand ça m'arrive, je sais qu'il est temps que je trouve ce qui ne va pas au lieu de me taper dessus. Bon, ça c'est moi, je sais bien que ça ne s'applique pas à tout le monde. Mais j'avais envie de partager. Merci, je me sens moins seule... :)

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  2. Cette envie de courir... Ça m'a pris longtemps à m'autoriser à avoir ce genre de pensées sans automatiquement me dire que j'étais une mère horrible. Parce que la pensée, ce n'est pas une action, alors le simple fait de m'imaginer m'enfuir ne fait pas de moi une mère horrible. Maintenant, quand ça m'arrive, je sais qu'il est temps que je trouve ce qui ne va pas au lieu de me taper dessus. Bon, ça c'est moi, je sais bien que ça ne s'applique pas à tout le monde. Mais j'avais envie de partager. Merci, je me sens moins seule... :)

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