jeudi 21 mars 2013

8 jours avant le deux ans


Pas d'introduction, aujourd'hui. Le texte va parler tu seul. 


Un an et presque huit mois [novembre]

Quatre semaines. Quatre semaines que le Mari et moi ne sommes plus le Mari et moi. Ça se fait en silence, à pas feutrés. Pourtant, tous ces moments où je m’effondre, en boule de moi-même, sur le plancher de la cuisine, du salon, où sous la couette du lit, je nous cherche, dans le fripé des draps, peut-être une trace de l’odeur des corps qui, dans ce lit, ont fait des bébés, notamment.

Pour que je survive, il aura fallu que quelque chose meure. Euphémisme. La moitié de ma vie, ce quelque chose. Un grand générateur de papillons, de doux dans les yeux, de frissons sur la peau, ce quelque chose. Le père de mes enfants. Le « pour le meilleur et pour le pire ». 

Nous n’avons pas su passer au travers du pire. Nous.

Nous avons le trait d’union défaillant. C’est d’une tristesse. S’aimer autant pour finir par se dire, un samedi matin, « C’est fini. ». Devenir en quelques minutes des êtres loin. Je peux palper la distance, saisir le vide. Ne pas avoir su générer et produire du bonheur. Ensemble. Cette incapacité m‘échappe. Je ne la comprends pas.

Il y a si peu de mots pour exprimer la douleur. L’absence, l’écart, la rage. Je voudrais que tout cela soit autre. Que ce ravin que nous avons pelleté, nous puissions le remplir. Je vois de vieux couples qui se tiennent par la main, se sourient en s’offrant leurs rides, marchent en accordant leur lenteur, équilibrent leur faiblesse, ils se poutrent. Et ça me fend. Ça me lève un peu le cœur, aussi, mais je nous voyais comme cela. Un jour, vieux, ensemble à s’insupporter. J’ai un fond romantique, un attrait pour la poussière qui brille dans les airs. Genre. Malgré tout ce que je suis, j’avais profondément cru à ce saut que j’avais fait en me mariant, un 7, du 7, du 7, pour la chance, évidemment...[pas tant, en fait, moi et la chance, on ne s'accorde pas beaucoup de crédit réciproquement]. La foi dans l’engagement. Tellement aveuglée par j’me-rappelle-même-plus-quoi, je pense que mes yeux, en fait, j’avais dû les enlever, tout doucement, je n’ai rien senti, de leur orbite juste avant de sauter dans le vide marital. 
Je mens, là. 
Je me suis mariée parce que je croyais qu’on pouvait vraiment s’engager envers une autre personne, peu importe ce qui pouvait bien advenir, malgré les changements, malgré tout. Manifestement, not. On peut venir à bout de soi et ne plus pouvoir porter l’autre. Quand ça se produit simultanément pour les deux parties en cause, c’est la fin, l’effondrement. 

mardi 19 mars 2013

10 jours avant le deux ans


À 12 jours de ma fête, je survivais de peine et misère. Je me maintenais, surtout, miraculeusement hors de l'hôpital. Mon psychiatre, pour je ne sais quelles raisons, ne faisait que tenir l'épée du séjour en psychiatrie au-dessus de ma tête, nous négocions le prix de ma liberté, à chaque semaine.

Je suis un peu pourrie pour cacher mon état réel faque je ne pouvais pas tant lui en passer une. Anéwé, la lividité de mon teint parlait tu seule, de même que les larmes qui coulaient sans arrêt, pour rien, les cernes que j'avais jusqu'au menton, les mots que j'alignais de plus en plus difficilement. Je ne voulais pas retourner "là". Je ne voulais pas être loin de l'enfanterie. Je revoyais le Fils qui pendant des mois avait peur, chaque fois que nous devions nous séparer, qui s'assurait que je ne retournais dans "mon" hôpital, le soir, en se couchant.

Je savais surtout que ce lieu, ce n'était pas ce qu'il me fallait pour aller mieux. L'affaire, c'est que le courage que ça prend dans la vie pour être libre et faire-ce-qu'il-faut pour jaillir de ce qui nous contient et nous étouffe, ça semble toujours Everest. C'est parce que ça l'est, aussi. Mais si j'ai retenu une chose des deux dernières années et surtout des derniers mois, c'est que nous avons des ressources infinies. On ne peut mourir parce que ça ne va pas. Ça semble idiot, là, énoncé de même, mais pour toutes ces fois où je ne comprenais pas pourquoi mon corps persistait à ne pas mourir, c'est un fait important à considérer. On y arrive, esti.

Un an, sept mois et un tiers [mi-octobre]

Les anxiolytiques rythment ma journée. 

Un comprimé au couché. Il amortit les effets des levés à toutes les deux heures, aide à ce que je puisse rapidement replonger dans le sommeil, s’il est toujours là. Il atténue, surtout, l’insomnie, celle générée par la crainte d’être réveillée, le son d’un pleur, d’un couinement, d’une toux.

Un comprimé au réveil. Indolence nécessaire pour couvrir la rage d'être la seule à me lever et pouvoir enchaîner les gestes avec un semblant de légèreté. Le couteau se fait moins lourd dans la main, le pain se tartine mieux, les oreilles se ferment davantage au bruit ambiant. J’assume que les bas des enfants soient dépareillés et qu’ils ne s’agencent pas au chandail, c’est tout dire. Tout ça pour être à côté de moi-même et alors, peut-être, un peu plus près de tout le monde.

Un troisième comprimé est nécessaire, souvent, à l’approche de la fin de l’après-midi,  pour lutter contre l’anticipation de ce qu’il y aura à faire, de toutes les phrases qu’il faudra dire et redire, de cette solitude partagée à coup de « Qu’est-ce qu’on mange? », « Peux-tu lui donner son jus? », « Je crois qu’il faut acheter de la litière pour le chat ».

J’aime ces bonbons migrateurs.

lundi 18 mars 2013

11 jours avant le deux ans


Je fais dans l'anecdotique, aujourd'hui. Parfois, l'anecdote est riche de sens. Pas ici. Mais elle reflète beaucoup de... nous. À défaut d'être porteuse d'une vérité transcendante, il y a des chances qu'elle occasionne du sourire. C'est ce que ça me fait, avec du recul, parce que sur le coup, pas tant, non.

Un an, sept mois et quelques jours (début octobre)

Ce matin, c’était mon matin. Celui du weekend où c’est à moi de dormir plus longtemps, où c’est le Mari qui se réveille et s’occupe des petits, où bien que je sois tout de même réveillée – parce que je les entends, duh! – j’ai le luxe de l’horizontal, du chaud de la couette, du prendre le temps avant de me mettre en mouvement. Mais, je ne sais pas pourquoi, la vie, souvent, elle s’en fiche de mon matin de sommeil, le seul de la semaine, elle aime ça me trouver des raisons de ne pas y avoir droit. Et j’aime personnifier la vie, ça me fait au moins une chose que je ne comprends pas suffisamment et que je peux donc rendre coupable de tous les maux, facilement. Et avec raison.

*

Voici le résumé de la situation tel que paru là où on a jugé bon que ça le soit et c'est une annonce de divan viril qui m'a permis d'avoir l'avis de recherche créatif:

Avis de recherche du chat [de marde] 
aussi connu sous le nom de Basile

Dans la nuit du 6 au 7 octobre, le chat [de marde] est sorti de notre appartement – la porte d’entrée était grande ouverte, au matin, un coup de vent sans doute – et reste introuvable, depuis.

Si vous trouvez le chat [de marde] vous serez peut-être surpris de son apparence et aurez peut-être envie de le laisser passer en espérant ne plus croiser son chemin. Mais nous faisons appel à votre humanité profonde : ses chances de survie dans la nature sont nulles. Voici ses caractéristiques : c’est un Rex Cornish (chat haut sur pattes, pelage court et frisé, grandes oreilles [sales dans son cas]), blanc et roux. Il est un peu rachitique de lui-même, ses vibrisses semblent brûlés [mais nous n’avons pas de temps à perdre à faire cela, brûler des vibrisses] et ses pattes avant sont dégriffées.

Si l’envie vous prenait de le garder, sachez que dans moins de deux heures [au mieux], vous nous serez gré de vous avoir donné nos coordonnées (voir ci-bas), car le chat [de marde] est dépendant affectif, ne fait pas ses nuits, ne mange que des croquettes de vétérinaires, ne boit que de l’eau froide à côté du lavabo de la salle de bain, aime dormir dans votre visage, vomit très souvent [près de votre visage], a des problèmes d’incontinence, hurle plutôt qu’il ne miaule et vous emmerdera autant qu’il le pourra pour avoir ce qu’il veut.
Si vous vous demandez pourquoi nous l’avons gardé, depuis maintenant 12 ans, c’est parce nous sommes innocents et que la nature humaine a des penchants qu’elle ne peut s’expliquer. En témoigne le fait que nous le recherchons et désespérément, en plus.

Donc si vous trouvez le chat [de marde], voici la procédure à suivre :

  • [Attention, il vous sautera dans les bras.]
  • N’ayez pas peur de le prendre – il aime être tenu comme un bébé [yeux en l’air] - Appelez-nous : xxx xxx xxxx
  •  Nous irons le chercher et vous nous remercierez d’avoir fait cela vite [si vous avez essayé de le garder, vous voudrez nous payer, mais nous allons refuser et vous tapoter gentiment l’épaule].
  •  Vous pouvez aussi venir nous le porter, si vous n’habitez pas loin : adresse.


Merci de votre attention et prières de faire circuler, s’il-vous-plaît, le Fils est en crise, depuis son réveil, de ne pouvoir courir après lui.

*

Je l’ai retrouvé. Sous une galerie, après une heure de marche dans le quartier à hurler « Baaaaaasssiiiiillllle », comme une conne, en pleurant ma vie de l’imaginer agonisant, éventré et repas d’un tas de corneilles. Le Mari tournait en rond, dans l’appartement et me textait aux cinq minutes. État de crise.

Il se tient loin de la porte d’entrée, depuis, le foutu chat. Et je ne me suis même pas recouchée. À défaut d’une médaille pour l’effort de recherche, j’aurais bien repris l’intimité avec mon matelas.

dimanche 17 mars 2013

12 jours avant le deux ans



Ce qui est beau, avec la dépression, c'est que ça te détruit de manière égale. Pas de favoritisme ou de laisser pour compte. Ça touche à toute et toute il effouare. L'humeur, le sommeil, le corps dans son ensemble qui se prend de douleurs diverses, vraiment, la dépression applique un principe de justice, elle est équitable dans ses attaques. L'appétit, itout, est généralement atteint. Soit tu manges ta vie, soit tu es tellement plein de vide que plus rien ne peut entrer. 

Un an, sept mois et quelques jours [début octobre]

Je ne mange plus. Je n’ai pas faim. Vraiment pas faim. Depuis des semaines, le pas faim, des mois, en fait, juin, pour être vraiment précise. Du café, en quantité, histoire de me tenir debout. Un bout de toast chipoté aux petits, le matin, parfois une ou deux cuillerées de leur souper. Juste parce que, rationnellement, je sais que je dois ingérer de la nourriture.

Jamais je n’aurais cru que « manger » puisse devenir un concept aussi abstrait que le Bien ou quoi que ce soit qui me rappelle la logique formelle. Quand tu es désemparée devant ton assiette et que tu t’accroches à tes ustensiles, un peu paniquée, les mains moites, tu le sais que ça ne va pas. De même quand l’heure des repas approche et que tu sais que tu vas devoir jouer une sorte de comédie pour te soustraire aux commentaires, aux questions, aux il-faut-que-tu-manges-tu-sais. Bah, oui, je sais. Sauf que je n’ai pas faim, je ne la ressens pas la faim, aucun signal du corps au cerveau, même pas une petite crampe. Rien. Si je m’essaie, je dois mastiquer indéfiniment chaque bouchée ou l’avaler tout rond, c’est selon. Mon estomac est soit réceptif, mais qu’à de très petites quantités, soit il se contracte et le tout remonte, se coince dans l’œsophage ou me revient en bouche. C’est super. 
Tout est fade, de toute manière. 
Bizarrement, je cuisine beaucoup. Biscuits, compotes, tartes et autres. J’aime que les autres mangent. J’envie leur appétit.   

*
Au plus pire, j'ai frôlé le 85 livres. Je ne suis pas très grande, n'empêche. "Manger" fait partie de mes objectifs du jour, encore. Je dois y penser, m'y astreindre. M'y contraindre, souvent. Ritualiser la chose aide. Manger, c'est avaler de la vie. Genre. Manger ou ne plus le faire m'est apparu, bien inconsciemment, comme le seul lieu où un certain contrôle me restait. Ça peut peut-être sembler très primaire comme réflexion et comme réflexe. Je m'explique tout cela comme je le peux. Fa-que: go, appétit, go!

samedi 16 mars 2013

13 jours avant le deux ans



Moi et les défis à moi-même, ça l'a souvent des ratés. En témoignent les deux derniers jours. Mais c'est pas grave. Je vais plutôt bien et me replonger dans tout cela, dans ces mois où ça allait juste pas (y voir un euphémisme de taille), ce n'est pas si évident, notamment parce que mine de rien, exposer son chaos mental, ça demande de s'habiter l'être avec force et détermination. 

Alors, voilà, début octobre, le début de la fin qui commençait à s'articuler...
  

Un an et sept mois

Comment en vient-on à être aussi désorientée? Théoriquement, il s’agit d’un projet de vie voulu, plutôt normal, d’un naturel certain. Avoir des enfants, cela va pratiquement de soi, c’est dans le grand plan. Tu nais, tu vas à l’école, tu te trouves un emploi, te maries, achètes une maison-avec-volets-aux-fenêtres, fais des bébés, élèves les bébés, t’épanouis dans ton travail et dans ton être, prends ta retraite, puis tu meurs. En gros. Le bonheur, il est là-dedans all the way. C’est le liant des événements.

Mais je bloque.

Kundera dit, dans L’insoutenable légèreté de l’être, que "L'homme ne peut jamais savoir ce qu'il faut vouloir car il n'a qu'une vie et il ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures." Ça me parle, beaucoup. Personne ne peut savoir si « le plan » lui convient vraiment. Pas que je ne voudrais pas d’enfants si, en pleine connaissance de cause, je pouvais choisir à nouveau. J’aimerais revivre des pans entiers de tout cela, différemment. Ça, c’est certain. Mais encore là, rien ne me dit que ça serait mieux. Et je peux bien « m’amuser » à jongler avec les possibles, ce qui est là est là et c’est avec cela que je dois composer. Avec mon dilemme « discipline incitative ou discipline punitive », ma fatigue de cette Fifille qui ne veut pas faire ses nuits et de moi qui ne peux la laisser pleurer parce que j’ai peur pour son sentiment de sécurité et notre lien d’attachement [Esti. Je sais.], le Mari que je regarde de plus en plus avec du loin dans les yeux, ma foutue vie qui me donne le vertige parce que, je ne sais plus quand, je suis devenue impuissante devant elle. J’ai cessé de savoir par où je pouvais l’empoigner avec toute la force du monde pour la tirer là où je veux qu’elle aille.

Au moins, et étrangement, pour ne surtout pas dire contradictoirement, il y a les petits. L’odeur de leurs cheveux, celle du pli du cou, le tendre de leurs joues. Le chaud, surtout, de tout leur mini corps qu’ils mettent  en boule contre moi. C’est dans leur si facile abandon, la gratuité gratuite de leur affection, que je « racine », parfois, un certain sens à tout Cela. Du coup, cette certitude que le monde serait nécessairement moins pertinent sans leur présence, que l’air qu’ils ne cessent de déplacer à bouger bras et jambes génère des vents essentiels. J’en ai fait un post-it mental, une note à moi-même en gras, italique, surlignée et option « qui s’allume et s’éteint en intermittence ». J’ai la mémoire courte quand je me noie de moi-même.

mercredi 13 mars 2013

16 jours avant le deux ans



Celui-là se passe de présentation, il relate cette journée où j'ai retrouvé la préparation de celle qui devait être la dernière, quelques mois plus tard, l'année précédente.

1 an et cinq mois

J’ai retrouvé, ce matin, toute ma « préparation » : testament, lettres aux enfants, au Mari, aux amis chers, message général pour ceux et celles que ça aurait [étonnement] surpris, résultats de recherches sur les méthodes, sur le « how to » pour ne pas se rater, tsé. Dernières volontés. Distribution des biens. En prime, un souvenir très palpable de tous ces moments passés dans cette planification, du temps mis sur le choix des mots, de la concentration déployée à évaluer les options, de la mobilisation de tout mon « je suis » à prévoir minutieusement le moment de la fin. Préparer la mort avec un échéancier, une liste à cocher. Se convaincre de plus en plus, à chaque étape de franchie, que tout cela est d’une telle pertinence. S’en vouloir de ne pas l’avoir fait avant. La peur qui, au fil des jours, prend moins de place. Tout cela, d’un seul coup. M’a fait l’effet d’une brique en pleine figure ou reçue derrière la tête, ce qui, des deux, fait le plus mal. Pas que je me sente coupable. Non, même pas. Plutôt que je n’ai pas l’impression que ma condition se soit tant améliorée, depuis.

Il y a de ces états dont on ne se sort pas si aisément, pas si rapidement, notamment quand ces états sont constituants de soi, depuis des années. L’Idée donc rôde, encore, par moments, quand le creux me prend. Elle a gagné en flou, un peu, martèle avec moins de force. C’est bon signe, j’imagine. Et il y a les poulets. Quelque chose s’est noué avec eux, récemment. Un tel besoin de leur présence, même si elle m’épuise. Une envie de vivre l’instant, m’abandonner aux jeux, aux soins, y être non pas parce que c’est ce qu’il faut, mais parce qu’un certain plaisir s’y trouve. Je suis étonnée que ce soit moi qui dise et pense cela.
Sans envie de vomir ma vie.

Peut-être que mon sentiment d’aliénation vient, en partie, de cette résistance que je déploie, sans arrêt et partout. Hypothèse de travail à conserver pour traitement futur. Je n’ai pas envie, là, maintenant, de réaliser qu’il soit peut-être vrai que je doive juste accepter ce qui est pour aller mieux. Ça l’a un goût de résignation, en fait. C’est très mauvais, aux dires de mes papilles conceptuelles. 
Déni, merci de ta présence.

mardi 12 mars 2013

17 jours avant le deux ans

Le nouveau travail: joie. De chez joie. Un sentiment que je n'avais pas ressenti, depuis suffisamment longtemps pour ne pas trop savoir comment le gérer. C'est rare que je me prends pour un soleil.
Vrai-ment rare.
Mon corps, en fait, semble le prendre comme un événement stressant tellement c'est nouveau. C'est tout dire. Et c'est surtout très en contraste avec ce que je déroule, depuis trois jours. C'est peut-être aussi parce que je vais mieux que je me sens prête à aborder le pire, à le nommer et à l'exposer, je ne sais pas trop.

Mais bon, le pire en ce matin d'août 2012, il a frappé un fond - pas le dernier, ne-non, fort loin, en fait - sur lequel il a pu rebondir, momentanément... 


Un ans et quatre mois

Vacances: jour 4

En ouvrant les yeux, ce matin, j’ai réalisé que, depuis quelques temps, la première chose que je fais en me réveillant, c’est de compter les heures qui me séparent du soir, du sommeil. C’est, en fait, devenu un événement fréquent. Trop, peut-être. La vie me semble n’être que de faire passer le temps. Meubler les espaces et le faire avec le plus grossier des kitsch. De l’air, à peine, au travers du shaggy orange qui me recouvre l’être.

Something is very wrong with me.
Aie-je au moins la lucidité de constater. Même si c’est avec un certain détachement, une distance.

Je veux bien « m’ancrer », prendre racine, profiter de l’instant. Mais je ne suis capable que de survol. De sécurisantes répétitions [que je déteste]. Trop épuisée, en fait, à tourner sur moi-même. À être incapable de m’arrêter parce que j’ai la chienne de ce qui pourrait se produire. Alors que je laisse déjà tout passer ou, du moins, que j’en laisse tellement passer à être juste là, à côté de moi-même, à feindre la joie, l’enthousiasme. À simuler des papillons.
Ma substance est en bouette. Voilà. Et concrètement, ça veut dire que je suis le genre de personne qui ne parvient pas à concevoir comment elle peut sortir de chez-elle avec ses deux enfants. Aussi n’importe quoi que cela. Dans l’inventaire des possibles, je ne vois que les situations de crise – situations que je ne pourrai gérer, évidemment – et j’ai la conviction qu’elles se produiront et qu’un des agents en cause n’y survivra pas. Alors je perds un temps phénoménal à penser à la logistique, à la segmenter, à prévoir. Mon cerveau est en spin perpétuel, ça doit contribuer à son ramollissement.

Mais aujourd’hui est – enfin – venu ce moment où j’ai juste eu envie de me taper. Ce moment où j’ai fini par me dire : « Ramasse-toi l’individu dans un petit paquet et juste fais quelque chose. Esti.» Et j’ai fait un sac avec « le tout pour le confort, les besoins et la joie de l’enfanterie», je me suis habillée [ça fera le pyjama comme seconde peau], j’ai habillé les poulets, j’ai pris Fifille dans mes bras, le Fils par la main et nous sommes sortis. Dehors. Fifille dans sa poussette, le Fils marchant à côté de la poussette et moi qui tenais ladite poussette avec toute la crispation dont mes mains sont capables. L’esprit un peu trop alerte pour le niveau de danger réel et le cœur palpitant sa vie, mais j’y étais, là, dehors, avec eux et tous les possibles de ce trio. Nous avons marché jusqu’au parc avec arrêts multiples pour observer fissures dans le trottoir, pissenlits géants, gomme à mâcher sous mon soulier et autres. Il y a eu de petites tensions, mais, en gros, j’y suis arrivée. J’ai pu compléter la séquence sortir, jouer, revenir. Des crises, mais pas de morts. Et deux heures de l’avant-midi de remplies.

Pouce en l’air, vague et cla-clap à moi-même. Malgré le certain triste de la chose et le petit pathétique de cette victoire sur moi-même.

lundi 11 mars 2013

18 jours avant le deux ans

Nouveau travail, aujourd'hui.

Je trépigne ma vie, suis debout, depuis 5h. Mes vêtements étaient prêts et mon sac itout, depuis hier midi. Un genre d'enthousiasme de rentrée des classes. Je n'ai pas eu de tâche de l'année, n'ai donc pas enseigné de l'année. Je respire moins bien, depuis l'automne, tellement ça me manque. Déjà que l'air avait pris l'habitude de faire son entrée et sa sortie par saccades, dans mes poumons. Mais voilà, je déclare le cycle du ark officiellement feni.

Faque les vacances, elles ont commencé de même [c'tait la fin du mois de juillet, je rappelle]:


Un an et encore plus presque quatre mois

Vacances: jour un.

Je me suis levée avec plein de volonté et un gros sourire, étiré d’une oreille à l’autre, le sourire, dès que j’ai ouvert les yeux. Ça allait être « ze » journée mère-enfants. J’y pensais sans arrêt, depuis que je savais qu’elle s’en venait, notamment parce que je ne parvenais pas à concevoir comment j’allais passer au travers. 
Détail.
  
Je me suis dit que j’y arriverais avec un horaire. Des choses à faire, des choses mises dans des cases. Mais, finalement, cela a plutôt été un nécessaire  free style. Jeux libres pendant que maman ne cesse de répondre à tous vos besoins, vos incessants et nombreux besoins. J’avais oublié que pouvoir aller à la salle de bain est de l’ordre de l’exploit, avec deux petits machins. J’avais oublié à quel point la sollicitation est « sollicitante » avec deux petits machins. J’avais oublié à quel point deux petits machins, ça me donne le vertige.

Je dois être une petite constitution, une nature faible. Ce n’est pas si difficile, si intense, pour toutes les mamans, me semble. Il y en a qui sont manifestement épanouies dans toute cette chose. Et je les envie. Tellement. Le dynamisme, « le yeux » qui pétille, les projets dans tous les sens. Être portée par sa maternité, ça existe. L’être constamment, je précise. Parce que j’ai mes moments. Quand même. Ce n’est pas qu’une condition subie dans laquelle je patauge au mieux de ma [où es-tu?] liberté. Peut-être qu’il me manque un morceau ou deux.

Ils ont dû foutre le camp avec mon sommeil.

 *

Vacances: jour deux


Identique à jour un. Juste un peu pire parce que répétition du désagréable.

*

 Vacances: jour trois

Moment épique dans toute sa splendeur:

Le ventilateur tourne.
Couchée sur le carrelage, je fixe une pale.
Les feuilles barbouillées, sur le devant du frigo, menacent de s’envoler. Il y a le chat qui miaule sa vie, dans un coin du salon, Fifille qui sanglote dans sa couchette, depuis quelques minutes, le Fils qui joue du tambour. Partout, le son. Je ne sais plus pourquoi je me suis affaissée sur le plancher. Une lente descente du corps qui cherchait à se replier sur lui-même, à amasser, entre les cuisses et le ventre, un petit peu d’air juste pour lui. Même en petite boule, presque sous la table de la cuisine, c’était de trop. Le poids. Celui de l’invisible, surtout. Il a fallu que je me laisse tomber. Avec un semblant de grâce, j’ai retenu la tête comme je le pouvais. C’aurait fait un bruit de plus et j’aurais très facilement pu ne pas me lasser de l’entendre.

À ma gauche, des blocs de toutes les couleurs, des graines et des bouts de toasts, des objets non identifiés. À ma droite, un soulier, un tas de linges à vaisselle souillés, des figurines.

Dans l’appartement, des choses, partout. Ça refoule. Un sentiment de « je-ne-suis-plus-capable-de-Tout » m’occupe dans le sens très envahissant de « occuper ». Wall Street, l’occupation. Ou militaire, c’est selon.

Le Fils promène ses petites autos sur mes jambes. Je me sens utile et ludique. C’est déjà cela.

dimanche 10 mars 2013

19 jours avant le deux ans

Il fait un soleil radieux, Fifille a mal dormi, mais c'est pas grave, on mange nos céréales dans le même bol [qu'elle a choisi, bol avec des fleu-fleurs dessus], le Fils a dormi chez ses grands-parents, on va sûrement prendre le [faux] thé dans pas long. C'est doux.

Loin de la pente glissante sur laquelle je me trouvais, pente qui est devenue très verticale d'elle-même à ce moment:


Un an et presque quatre mois

Deux semaines. Deux semaines, toute seule, avec l’enfanterie.

Le Mari a pris ses vacances au début du mois de juillet. Nous avons joué à « cette époque où nous n’avions pas d’enfants », ces derniers sont allés à la garderie presque à tous les jours alors que nous retournions à la maison, seuls. Je comprends que ça se critique, que ça se juge, que ça se regarde avec l’œil un peu indigné et le front plissé. 
Mais ça nous était nécessaire. Après une fin d’automne à saveur de mort avortée et un printemps de combat où j’ai passé plusieurs soirées à arpenter la ville ou à être présente de corps, à la maison, mais continuellement ailleurs d’esprit, généralement enragé, aussi, l’esprit, nous avions besoin de temps pour nous retrouver. Être tous les deux. Lire dans un café, faire la sieste l’après-midi, se promener en se tenant par la main (un événement en soi, car avec deux poussettes, ça se fait, mais ça complique la démarche), ce genre de rien qui manque au quotidien, qui font qu’on peut si facilement s’éloigner, même si on se voit à tous les jours, si on se parle à tous les jours. Nécessairement qu’on se parle… du [foutu] souper, des poubelles à couches pas vidées, de la gestion de crise, de stratégies pédagogiques, du prix de l’essence ou de la météo du jour, ce genre de choses qui aident tellement à garder deux individus unis et intéressés l’un à l’autre. Quand vient ce moment où l’autre est essentiellement devenu celui avec qui tu élèves des enfants, tu te dis qu’en cours de route, il y a eu un fail. Et tu te dis aussi que, même si tout le monde le confirme que cette période de la vie de la progéniture est la plus difficile et que ça va s’améliorer, tu peux aider ta cause en réinvestissant ce lieu premier qu’est ton couple. Faque, c’est vraiment sans [presque] aucun remord que nous les avons oubliés quelques heures par jour, pendant deux semaines en se disant que s’ils nous le reprochaient, un jour, nous pourrions invoquer que c’était mieux cela qu’un divorce... Le réconfort de pouvoir toujours se comparer à pire n’a pas de prix.
                                                   
Alors voilà. Je dois assumer les deux semaines de vacances de la garderie, seule.
14 jours. 
Le Mari, je le sens, comprend plus ou moins, voire pas du tout, cette anxiété généralisée qui me prend le corps et la tête, à l’approche de ces 14 journées. Nous avons même eu cette discussion où les mots « enthousiasme », « vacances », « enfants » et « moi-même » ont tenté d’être rapprochés. Je parle de tentative parce que systématiquement, j’ai le regard qui se durcit, lance des « si j’étais toi, je me tairais avant le prochain mot » et on atteint rapidement un certain point Godwin : « c’est pas toi qui… ». 

Évidemment que je me sens mal de me sentir mal. C’est l’histoire de toute cette chose maternante. Ce malaise. Cette peur d’être avec eux, de ne pas assurer, de ne pas en faire assez, d’être à demi là parce que mon attention sera nécessairement partagée entre une Fifille qui se voue à la mort à chaque seconde qui passe tellement elle est un danger pour elle-même et un Fils qui, fidèle à son ascendance, doit être sous haute surveillance tellement il est le roi des plans fouareux.

Ça et la crainte de me perdre, aussi et encore, quelque part en chemin. Je ne sais pas trop comment, mais j’ai un si mauvais sens de l’orientation en ce qui concerne la Vie que deux semaines qui se répèteront dans leur forme et leur contenu à être pour autrui sans arrêt, ça me fait trembler.  

samedi 9 mars 2013

20 jours avant le deux ans

Il y a eu de l'inconstance, dans ce blogue. C'est que la dernière année a été de marde. Tellement de marde qu'aucune catharsis ne semblait pouvoir changer quoi que ce soit à la situation. Quand ta vie ressemble à un mélodrame qui ne pourrait même pas être crédible en soap américain, c'est que tu as atteint le stade épique du profond.

Et il avait une certaine gêne d'exposer la décrépitude alors que je m'imagine bien que je suis loin d'être la seule à l'avoir éprouvée ainsi. Évidemment que je ne suis pas la seule. Faque je me suis dit qu'à vingt jours du deux ans de Fifille, avant que le jambon ne soit complètement transformé en tranche de bacon [elle a la crise frétillante, du type je-me-garoche-sul-plancher-et-je-me-fais-aller-tout-le-corps], j'avais envie de la raconter cette année de marde. Par petits bouts, en flashback. La dépression est encore matière à stigmatisation, à incompréhension, à donne-toi-un-coup-de-pied-au-cul-ça-va-aller. Une vue de l'intérieur, ça peut peut-être aider à assouplir le préjugé. 

On repart en juin 2012. C'est loin, mais bon. Avant, il y avait eu mon séjour en psychiatrie, une sortie trop rapide, un retour au travail trop rapide, une surchage de travail au travail [une tâche à 110%], un printemps à marcher les rues de la ville, à être mobilisée, en colère, à essayer de faire du sens. Et toujours ce sentiment d'être à côté de moi-même, absente. Et la fatigue parce que la Fifille, elle ne faisait [et ne fait] toujours pas ses nuits.


Un an et presque trois mois


Point de rupture numéro ad nauseam:

Pourtant, une fin de journée comme toutes les autres. Juste un peu plus de cris, dans la voiture, de non-coopération, de résistance, de demandes infinies. La fin de cette session [un peu de marde] est éreintante, me rend, du coup, plus edgy que je ne le suis déjà, normalement. Le sommeil manque. Alors il suffit d’un détail, un tout petit détail, dans ces conditions [non] optimales pour imploser. Le détail, ce soir, a été le lancé de l’assiette. Celle du Fils. Dans ma direction. Pleine de son contenu dont il ne voulait – manifestement – pas. Nous travaillons très fort le « nommons tes émotions et associons-leur des comportements appropriés afin que tu te sentes en contrôle de toi-même et apte à te gérer tu seul». C’est un work in a very slow motion progress.

J’ai vu vide.
Je me suis substituée au Mari, sur la galerie. Il a compris que l’heure était au « travail d’équipe », au « tu finiras clope et bière, plus tard, comprends que le s’il-vous-plaît est en implicite ». Il est rentré, je me suis adossée au mur de briques, mes yeux se sont fermés. J’ai mentalement fusillé tous les papillons de la planète. Du moins, ceux qui volent en faisant trop de bruit.

Je n’ai pas abusé, quelques minutes, le temps d’une dizaine de respirations profondes. Le temps de me croire habiter d’un certain [très instable] calme. Et là, alors que je posais la main sur la poignée de la porte, j’ai entendu hurler le Fils.
J’ai figé, submergée par le sentiment que je n’y arriverais pas, que je ne survivrais juste pas à la fin de la journée. C’était plus qu’un sentiment, en fait, c’était une certitude.

Devant mes yeux, la séquence temporelle à venir : rentrer, recouper des raviolis en une vingtaine de bouchées, faire avaler la vingtaine de bouchées, une à la fois, déposer le bol sur le comptoir, ouvrir l’armoire, prendre un biscuit, le donner au Fils, préparer un biberon de lait pour Fifille, sortir cette dernière de sa chaise-haute, l’amener à sa chambre, la déshabiller, changer sa couche, lui mettre son pyjama, fermer le rideau, la déposer dans sa couchette, l’envelopper de sa couverture, l’embrasser sur le front et le bout du nez, fermer la porte de sa chambre, retourner voir le Fils, négocier un moment pour qu’il me suive jusqu’à la salle de bain, couler son bain, le déshabiller, le laver, le regarder jouer, le sécher, lui mettre un pyjama, me coucher sous la couverture avec lui, lire trois histoires, réciter l’alphabet, l’embrasser, sortir de sa chambre, aller dans la mienne, faire une boule de moi-même sur le lit. Je le sais, rendu là, j’aurai le goût de prier.  

Une telle envie de fuir. De lâcher la poignée, prendre les escaliers de secours, même si déjà en pyjama, courir et ne jamais m’arrêter. M’évanouir, dans un coin, un tout petit coin. Ne plus me réveiller. Il y a plus joyeux, comme souhait. Je sais.

J’ai retenu mes larmes. Et j’y suis retournée. Le Mari ne m’a pas surnommée « Castro » pour rien, pendant le printemps. La maternité est un état révolutionnaire permanent. La lutte n’est même pas un choix, c’est une obligation.